la pub dans les jeux

Vos joueurs nous intéressent
Par Eric SIMONOVICI le 19.10.2006
Battlefield 2142 se fait accuser – à tort – de spyware et c'est tout le débat autour de la publicité dans les jeux qui ressort. Un sujet d'actualité, au moment où les partenariats se multiplient, même si le gain n'est pas toujours évident pour les joueurs.
On a rarement autant parlé de publicité et de jeu vidéo que depuis ces derniers jours, et le responsable est, en grande partie, le nouvel épisode de la série Battlefield, sorti aux Etats-Unis hier. C'est en effet durant l'un de ses podcasts habituels, le 11 octobre dernier, que l'équipe du magazine américain Computer Gaming World attire l'attention sur une carte nichée dans la boîte du jeu, un avertissement inhabituel en noir sur blanc à propos d'un système de publicité dynamique créé par la société IGA Worldwide et intégré au sein du code. Même si la note précise qu'aucune donnée identifiable n'est tirée des ordinateurs des joueurs, une référence à l'enregistrement "de votre adresse IP et d'autres informations anonymes" inquiète le comité de rédaction, qui remarque en semi-plaisantant qu'Electronic Arts aurait du indiquer sur la jaquette qu'un spyware était inclus avec le jeu. "Si l'éditeur a préparé cette carte, c'est qu'il a peur d'avoir mis dans le programme ou sur les serveurs quelque chose qui va se révéler être un problème pour vous ou votre machine," conclut l'un des journalistes.

L'affaire n'atteindra Internet que plusieurs jours plus tard, en début de semaine, mais les réactions sont prévisibles : colère sur les forums, promesses de boycott et de précommandes annulés, Electronic Arts le démon capitaliste. Il faut dire que la formulation un peu vague ("autres informations anonymes" ?) laisse entrevoir quelques possibilités alarmantes. La plus effrayante dessine le spectre d'un programme moniteur, un espion filou lancé en permanence sur le PC et qui irait fouiller dans les cookies Internet et les fichiers, histoire de mieux cerner la personnalité et les goûts du joueur et de lui distribuer des publicités extrêmement ciblées. Faux, répond l'éditeur, confirmant que Battlefield 2142 accède uniquement les fichiers liés au jeu. IGA Worldwide, par ailleurs, fournit des explications plus détaillées. L'adresse IP ne serait utilisée que pour repérer la situation géographique du joueur et les données anonymes (type de publicité vue, pendant combien de temps, à quel angle, etc.), pour déterminer l'impact d'une campagne particulière. "Tout ce que nous voulons faire est être sûr que nous servons la bonne pub à la bonne IP," rassure Justin Townsend, PDG d'IGA.

A priori, donc, rien de bien effrayant ni surprenant. La publicité dynamique fait parler d'elle depuis plus d'un an et le cas d'autres titres – SWAT 4, par exemple – avait déjà étudié dans ces pages. Qui plus est, Electronic Arts avait prévenu. Il y a bientôt deux mois, l'éditeur avait annoncé signer deux contrats différents avec IGA et Massive (un autre grand fournisseur de publicité dynamique) pour, respectivement, Battlefield 2142 et le futur Need for Speed : Carbon. Ce que cet incident illustre, en revanche, c'est que rien ne semble avoir changé. Leurs budgets next gen en étendard, les éditeurs cherchent toujours des sources de revenus supplémentaires – et le moyen de monnayer l'accès à ces jeunes de 18-34 ans qui excitent tant les annonceurs. Dernier exemple en date : les produits Nivéa, que l'on devrait retrouver en fin de semaine dans les niveaux du prochain Splinter Cell. "C'est une chance pour nous de rajeunir la marque," explique le directeur marketing de Beiersdorf, créateur de la campagne. Ailleurs, c'est le célèbre institut américain de sondage Nielsen qui a annoncé hier le lancement d'une division "services interactifs". La société a d'ores et déjà commencé à rassembler des données statistiques et démographiques sur les joueurs qui devraient permettre aux annonceurs de mieux cibler leurs campagnes sur ce médium. "L'établissement d'un standard de mesure précis et fiable pour le jeu vidéo [...] aidera à faire passer la publicité sur ce support d'une expérience hasardeuse à une option indispensable," estime le nouveau vice-président de la division.

De leur côté, certains joueurs semblent toujours aussi hostiles à ce qu'ils considèrent ouvertement comme une forme d'intrusion. IGA parle d'une "minorité vocale" et déniche 70% d'entre eux prêts à témoigner que la publicité dynamique "augmente le réalisme". Peut-être. Peut-être qu'effectivement la plupart des joueurs se contrefichent de savoir si leur titre préféré est pub inside ou pas. Mais on repère néanmoins dans les messages rageurs de cette minorité vocale l'idée, finalement pas si farfelue que cela, d'un échange. OK pour une bombe de mousse à raser dans la main de Sam Fisher, mais à condition d'obtenir quelque chose en retour. Or jusqu'à maintenant, ce qu'ont obtenu les joueurs, c'est une augmentation du prix des logiciels sur Xbox 360 et, bientôt, sur Playstation 3. Mais pour IGA, la valeur ajoutée, la seconde partie de l'échange, serait ailleurs. "Avec la nouvelle génération de plateformes – la PS3 et la Xbox 360 – les coûts de développement pour les titres majeurs vont être multipliés par trois, pour atteindre jusqu'à 30 millions de dollars par projet, prédit Townsend. Et je ne pense pas que le prix des jeux va lui aussi être multiplié par trois. Si les joueurs veulent trouver un flux constant de titres nouvelle génération de grande qualité sur le marché, ils doivent comprendre que les éditeurs ont besoin de développer de nouvelles sources de revenus." Mais qui a décrété qu'il fallait désormais 30 millions de dollars pour développer un bon titre ? Les joueurs ou l'industrie ? C'est aussi cela qui va rendre le prochain face à face console intéressant. D'un côté, la surenchère : Microsoft, qui prépare déjà l'après-Xbox 360, et Sony, qui parle de remplir des disques Blu-Ray de 50 Go d'ici l'année prochaine pour satisfaire "les besoins en données du Cell". De l'autre, Nintendo, qui mise sur une technologie plus modeste pour contenir les coûts de développement. Et pour, peut-être, valider une autre définition de "titres de grande qualité".